19.10.12

Casa-Marrakech A/R


Jour du match à la gare de Casa Voyageurs. Quelques drapeaux, du rouge par ci, du vert par là. Enorme file derrière les guichets et partout ailleurs, les adeptes du gratos discutent des stratagèmes pour faire sauter le verrou des contrôleurs. Dans la file, il y a ceux qui ont choisi de minimiser le risque. Ils prennent un billet de train pour Bouskoura et signent un pacte de paix temporaire avec les autorités. C’est vrai que ça risque de chauffer entre Bouskoura et Marrakech, mais si ça passe, ça reste toujours 70 balles de moins.

Le climat est un peu tendu et les agents de sécurité ne présagent rien de bon. Le train de 12h50 fait le départ cinq minutes avant l’heure et provoque une première émeute. Reste alors celui de 14h50, le dernier à prendre pour ceux qui voudront rattraper le match au stade.

Avant- match sur les chemins de fer

Comme prévu, le train fait le sur-plein. Une affluence digne d’un avant-aïd ou d’un weekend de vacances scolaires. Nos amis du gratos répondent présent, sans grande surprise. Ils rejoignent leurs confrères de Fès, Meknès, Kénitra, Salé et Rabat. Les autres voyageurs jugent bon de ranger tout objet d’une quelconque valeur, sauf le type à côté qui tient à finir son petit film sur Ipad. Nos amis passent en file indienne et scrutent d’un regard pas très amical tous ceux qui sont assis, surtout celles qui sont assises. L’Ipad a fini par attirer une bonne foule aussi. Les mains tremblantes du type qui pourtant voulait faire semblant d’être indifférent donnent un spectacle affligeant. Heureusement pour lui, la file indienne était longue derrière et sommait nos amis d’avancer. L’Ipad finit par être rangé, les écouteurs aussi.

L’ONCF a semble-t-il fini par s’habituer. Il a lui aussi sa propre milice. Oui, oui, une vraie milice. De braves et grands gaillards, munis de battes couvertes de scotch blanc. La lutte a été âpre pendant quelques minutes mais la file indienne a été finalement neutralisée. Les plus bruyants sont emmenés aux toilettes improvisées en poste de police. Pleurs et supplications fusaient, suscitant approbation et soulagement chez les nerveux passagers.

Complots, Zaki, Tunisie et coups de matraque sur la route au stade

3 heures et demi plus tard. Gare de Marrakech. La jolie gare de la jolie Marrakech. Les dégâts ne tardent pas à se faire constater. Nos amis ne se sont pas tous faits choper, ils sont forts. A l’arrivée, manifestation improvisée : « Biilkiii, Faboooooor » (Gratos les amis, prenez ça les flics), le tout en arrachant les plantes qu’ils trouvent à portée de main.

18h30. On apprend que les taxis ne peuvent pas aller jusqu’au stade. C’est la course aux places dans les Honda et tri-porteurs qui s’attroupent autour de la gare. Les enchères commencent à 80dh la place. Au final, nous serons six à payer 15dh pour un aller simple. Le chauffeur dribble tout ce qui lui passe devant. En même temps, un fhamator attitré prend la parole. ‘Puisse Dieu nous aider à pousser à quitter ce pays de merde, mais bon, Vive le Roi quand même’. ‘J’ai juré de ne jamais regarder un match de ces petites pouffiasses, mais bon Dieu me pardonne, c’est l’amour du pays’. Autour, trois mecs parlaient des déclarations de Taoussi. Pour le fhamator, il est toujours le bon moment de parler de Zaki. Le chauffeur, qui a apparemment gardé un mauvais souvenir du passage de l’ex-sélectionneur au KACM, essaie de tempérer un peu l’enthousiasme autour de Zaki. Un type rappelle aussi qu’en 2005, tout le monde voulait qu’il dégage après l’élimination contre la Tunisie. Fhamator a réponse à tout. ‘En 2005, on leur a vendu le match pour qu’ils nous laissent organiser la coupe du monde. C’est ce pays de merde, ils jouent de nos sentiments. Zaki le pauvre pleurait, il ne voulait pas leur vendre le match. D’ailleurs cette petite pute de Naybet a participé aux négociations, c’est pour ça qu’il est à la Fédé là’. Bon notre ami ne sait pas que la coupe du monde a été attribuée en mai 2004, mais bon, peu importe.

19h30. Les forces auxiliaires autour du stade sont débordées par la marrée humaine. Dernier recours, la matraque pour tous. Les trois types de la Honda arborent une carte bleue en criant ‘Marine royale, marine royale’. Les barrières s’écartent et on passe derrière. Le stade est vraiment beau. Dernier barrage, le plus sophistiqué aussi. Un dispositif en infrarouge ou un truc de la sorte pour valider le ticket et débloquer la porte. Mais bon, on a importé le dispositif, mais pas les usagers avec. Les passe-droits ne s’arrêtent devant aucune technologie, aussi pointue soit-elle. Un moustachu en costard donne des ordres en insultant le pauvre stadier, et hop ça s’ouvre. Prends ça l’infrarouge.

Le Mozambique, c’est finalement comme l’Algérie

Quelques escaliers plus tard, le paysage se dégage. Le stade est vraiment beau. C’est quand même différent les tribunes à deux étages. Le virage sud est plein et puis les places ne sont pas numérotées. Bon apparemment c’est trop demander. Les flics te demandent de prendre place mais t’empêchent d’en chercher une. Une équation compliquée mais bon résolue à quelques minutes du début. La dizaine de mozambicains qui arrivent reçoivent leur grosse huée, et derrière leur hymne aussi. Au retentissement du notre, le patriotisme occasionnel enregistre un pic et mon voisin verse même quelques larmes. Pas sûr que ça l’empêchera de maudire le pays et le ciel qui est dessus après le match, mais bon on est au Maroc.

La première mi-temps est morne. On est derrière le but mozambicain. El Arabi rate la première occasion et envoie le ballon aux tribunes. Mais bon pas assez haut pour que l’on puisse récupérer la balle au deuxième étage. Taoussi offre un spectacle tout seul. L’avantage au stade c’est qu’on ne rate pas une miette de ces réactions, même à une passe ratée. C’est pour ça aussi que tout le monde savait en première mi-temps que Belhanda ne tardera pas à sortir. Entre temps il y a eu le but de la tête de Barrada qu’une moitié de la tribune a raté. Les flics s’étaient attroupés pour… empêcher un mec de prendre une photo. Il faut croire qu’il y a une question de droit télévisés derrière ou quelque chose de la sorte.

1-0 à la mi-temps. C’est bien mais personne n’est rassuré. Les organisateurs juge bon de mettre à fond la chansonnette de la Massira. Etmine de rien ça a marché. Ca dansait un peu de toutes les manières et les « Allahou akbar » à répétition galvanisaient tout ce beau monde. Assaidi fait son entrée à la place d’un Aqqal pas très convaincant, sauf peut être pour les quelques khouribguis qui doivent en être fiers. On n’a plus le but du Mozambique devant nous et là il n’y a que Nadir qui nous tourne le dos. Dans l’autre extrémité, on arrivait à distinguer Assaidi faire des misères aux gens de Maputo, mais il n’y a personne à la conclusion. El Arabi rate et rate encore et le public n’en peut plus. Les Rajaouis jurent qu’avec Yajour, ça aurait été minimum 4-0. Belhanda essaie de bloquer le ballon du front, et comme prévu ça ne lui réussit pas. Les Rajaouis autour scandent « Bombonera, bombonera, Metouali Maradona ». On a envie de les croire mais personne n’a la force pour ça.  Quand Barrada tombe dans la surface, le stade gronde et l’arbitre siffle car dans tous les cas il n’a pas le choix. Pénalty et carton rouge en supplément. Nadir ne nous tourne plus le dos et préfère voir le reflet du péno dans nos yeux écarquillés. Kharja, comme un grand, ne tremble pas.

2-0. Et bizarrement, ce ne fût pas une délivrance. Il restait 25 minutes et on était en supériorité numérique. Le stress est étouffant et le vent souffle fort sur la rase périphérie de Marrakech. On tremblait et on ne savait pas si c’est le stress ou bien le froid. Longues mais rapides minutes. Assaidi martyrise ses vis-à-vis et libère son acolyte Bergdich. Ce dernier enroule bien sa banane vers la tête d’El Arabi. Bon il aurait été un homme mort s’il avait raté celle là aussi. Mais d’une tête croisée, il envoie balader tous les démons, les siens et ceux des autres. On y est putain, on n’a plus le droit de se planter. Le monde est euphorique autour et le policier est débordé à empêcher les gens de prendre des photos avec le drapeau. En bas de la tribune, les mozambicains n’ont plus rien à perdre là qu’il ne peut plus y avoir des pénaltys. Belkhder est littéralement cramé et marque de très loin son vis-à-vis. Ah cet instant avant que le joueur décoche son centre, c’est vraiment décuplé par rapport à la pression qu’on sent derrière son poste de télé. Heureusement, BenittoBenatia est là et dégage de la tête in-extremis. Assaidi amorce le contre, ils sont 4 contre 3. Il décale Amrabat qui est seul à droite. Depuis la tribune sud on ne sait pas à jusqu’à quel point il s’approche du gardien mais on lui demande de tirer quand même. Il écrase son tir. Le ballon trotte jusqu’au petit filet droit du pauvre gardien du Mozambique. Mon voisin pleure mais vraiment fort. Même le flic jette un coup d’œil sur le terrain. J’en ai l’intime conviction maintenant. Le stadier, tournant son dos à l’arène et n’ayant comme spectacle que les émotions des autres,  a un des pires métiers au monde.

L’After…

A la sortie, quatre bus attendent. Quatre seulement. Ca doit être le fruit d’une longue réflexion des autorités. Nos amis courent pour y prendre place et pas de la plus paisible des manières. D’autres négocient avec les tri-porteurs. Nous autres rentreront à pied. C’est loin mais c’est plus facile après une victoire. Sur le chemin, des familles entières et beaucoup de bonnes femmes s’amassaient pour saluer les revenants. A pied on a l’impression d’être nous-mêmes les joueurs avec le regard admiratif que ces dames nous lançaient. Les quatre bus finissent par passer. Sans vitres, sans portes et avec des passagers en haut du véhicule. La matraque est ressortie et nos amis sautaient des fenêtres des bus, les uns sur les autres. Quelques policiers prennent des coups de massue sur la tête. Tout ça avec comme fond sonore youyous et klaxons. 2 heures et demi plus tard, retour à la case départ. Devant la gare, nos amis attendront bruyamment le premier train du matin…       


1 commentaire:

  1. Le Mozambique aurait donc valu un voyage à l'horrible Kesh,ce que ça peut ressembler au Bouzid que je connais..
    Sacré opium qui permet à ce peuple des liesses sans semblables avec des 4-0 dénichés par ci par là, juste quand il faut..Nos voisins doivent repasser dans pas très longtemps pour faire notre bonheur!
    joli article au passage..

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